Larmes de la terre (exposition), 2021

« La roche incandescente coulait en chuintant, brassée de bouillonnements énormes, couleur de cuivre rouge et d’or, dont les éclaboussures retombaient parfois tout autour de nous. Après un long moment, et quoique nous fussions si près déjà de cette matière fabuleuse, je portai les jumelles à mes yeux – et soudain me trouvai comme immergé dans le prodigieux enfer d’une planète en gésine. » Haroun Tazieff, Les volcans, éditions Robert Delpire.

40 millions d’années nous séparent de la naissance des volcans d’Auvergne, c’est très peu en comparaison des quatre mille millions d’années durant lesquelles « la coquille qui recouvre notre planète a connu les vicissitudes de la tectonique qui plisse, tord, brise les roches, les comprime en montagnes, les étire en fosses océaniques»* . En recréant une archéologie imaginaire des volcans d’Auvergne, Charlotte Charbonnel embrasse ce phénomène multi-scalaire qui met notre imagination au défi, elle s’en approche par les voies d’un art qui se mêle aux créations de la nature, y confronte ses techniques et ses formes. Afin de créer une lave de sa fabrication à partir de pouzzolane prélevé sur les pentes des volcans, l’artiste a collaboré avec le laboratoire Magmas et Volcans de Clermont-Ferrand. Pour construire sa fiction archéologique, elle s’est inspirée de récits portant sur l’Auvergne trouvés dans le Guide de la France Mystérieuse. Elle y découvre notamment la notion auvergnate de « Larmes de la terre » pour qualifier la lave. 
Mêlant l’observation attentive de la géologie auvergnate à la création d’un répertoire de matières et de formes, du plus naturaliste au plus abstrait, Charlotte Charbonnel travaille subtilement le passage entre l’analyse de phénomènes naturels et la transcription sensorielle de leur ténuité, de cette part invisible qu’est leur mouvement interne, leur énergie. Elle inscrit ses gestes créateurs dans un très long processus naturel jouant avec le temps, travaillant la terre et les métaux à chaud et à froid, opérant des coupes, réalisant des expériences et des simulations d’opérations géologiques où tout se forme et se forge. L’exposition est une série d’étapes de révélation propices à l’émerveillement où sont convoquées toutes les écritures naturelles et scientifiques associées au volcan, elle est le récit d’un voyage sensoriel dans la formation du paysage qui nous entoure.
Marguerite Pilven
* Haroun Tazieff, Les volcans, ed. Delpire, 1964. Le précédent texte s’inspire par ailleurs de plusieurs descriptions de 2 phénomènes naturels faites par le célèbre volcanologue.

 

Solo show, from June 11th to Septembrer 26th, 2021, le Creux de l’Enfer art center, Thiers

« The incandescent rock flowed with a chirp, stirred by enormous bubbles, red copper and gold in color, whose splashes sometimes fell all around us. After a long moment, and although we were already so close to this fabulous matter, I brought the binoculars to my eyes – and suddenly I found myself as if immersed in the prodigious hell of a planet in gesine. »
Haroun Tazieff, Les volcans, Robert Delpire editions
40 million years separate us from the birth of Auvergne volcanoes, which is very little compared to four thousand million years during which « the shell that covers our planet has experienced the vicissitudes of plate tectonics that folds, twists, breaks rocks, compressing them into mountains, stretching them into ocean trenches. »* Reconstructing an imaginary archeology of Auvergne volcanoes Charlotte Charbonnel embraces this multi-scalar phenomenon, challenging our imagination. She grasps it through a practice that merges with the creations of nature, confronting its mechanisms and forms. In order to create a lava of her own made of pozzolan taken from the slopes of volcanoes, the artist collaborated with Magmas et Volcans Laboratory in Clermont-Ferrand. To elaborate her archaeological fiction, she draw her inspiration from stories about Auvergne province, found in the Guide de la France Mystérieuse. There she discovered the Auvergne notion of « Tears of the Earth » to describe lava.
Combining careful observation of Auvergne geology with the creation of a repertoire of shapes and materials, from the most naturalistic to the most abstract, Charlotte Charbonnel subtly works on the transition between the analysis of natural phenomena and the sensory transcription of their tenuousness, of the invisible part that is their internal movement, their energy. She puts her creative gestures on a long footing playing with natural processes and time, working with earth and metals, hot and cold, making cuts, carrying out experiments and simulations of geological operations where everything is formed and forged.The exhibition is a series of development stages that favours wonder, where all natural and scientific writings associated with volcanoes are explored, it is the story of a sensory journey into the formation of the landscape that surrounds us.
M P
* Haroun Tazieff, Les volcans, ed. Delpire, 1964. The previous text is inspired by several descriptions of natural phenomena made by the famous volcanologist.

 

Credit photo : Vincent Blesbois

Paralava, 2021

« dans le ventre de la terre »

Charlotte Charbonnel prend pour pivot de son exposition l’éruption volcanique. Elle expose les différents états de la matière issus de cette déflagration qui déchire le sol, vomit en gerbes son magma, propulse des lambeaux de cette pâte et des roches pulvérisées par la violence des gaz. Viennent ensuite les « cendres », de fines poussières dont les dimensions se mesurent en microns s’élevant en un tourbillon pour aller se déposer à des kilomètres à la ronde sur les arbres ou les toits des maisons…
En cet instant tout est calme, nous nous engageons au fond du cratère, sous le porche d’une caverne aux stalactites couleur cerise. Sous nos pieds s’épandent les traces des jeux monstrueux de la terre que nous imaginions pourtant figée dans une placide tranquillité : ruissellements, éclaboussures, coulées sont comme autant de traces de sa masse en fusion. Une langue de lave s’étale, étrange peau irisée que des gaz sont venus boursoufler jusqu’à la fissurer. Plus loin se dresse un monticule, tel une colonne de lave déchaussée par l’érosion. Partiellement recouvertes par la pouzzolane, les scories accidentées de bronze et d’aluminium jetées à chaud, saisies et sculptées par l’eau vive de la Durolle, scintillent comme de gros bijoux fondus. Dans le folklore local, il se raconte qu’un trésor serait caché sous cette rivière dont la force hydraulique alimentait autrefois les rouets de la coutellerie du Creux de l’enfer. A ce récit en strates fait écho la longue lame en acier damassé qu’a réalisé l’artiste pour une exposition dans la grotte du Creux de l’Enfer en 2019, avec la coutellerie Claude Dozorme située près de Thiers. La surface mordue par l’acide fait apparaître le feuilletage, les plis, la structure occultée dans l’épaisseur de la matière. Cette lame que l’artiste qualifie de « ligne temporelle » condense symboliquement le double mouvement de contraction et d’étirement du temps par lequel elle traduit visuellement, et tout au long de l’exposition, les mouvements telluriens: effluves, poussées, émanations…

Marguerite Pilven

 

Installation of pozzuolana and molten metal. Molybdomancies realized in situ, 2021.

« In the Belly of the Earth »
Charlotte Charbonnel makes the volcanic eruption the pivot of her exhibition. She presents the different states of matter resulting from deflagrations that tear the ground, vomit its magma in sprays, propel shreds of paste and rocks pulverized by the violence of gases. Then come the « ashes », fine dust whose dimension is measured in microns, rising in whirlwinds before falling miles away on trees or house roofs…
At this moment everything is calm, we step into the bottom of a crater under the porch of a cavern with cherry-colored stalactites. Underneath our feet spread the traces of the monstrous activity of the Earth that we believed to be in a frozen and placid tranquility: trickles, splashes, flows like so many manifestations of its molten mass. A lava strip spreads out, strange and iridescent skin that gases blistered until it cracked. Further away, a lava hill rises, like a column demolished by erosion.
Partially covered by pozzolan, the organic scorias of bronze and aluminum casted, seized and sculpted by the living water of the Durolle, sparkle like large melted jewels. In the local folklore, it is said that a treasure would be hidden under this river whose hydraulic power once fed the wheels of the cutlery of the Creux de l’enfer. This layered story echoes the long damascus steel blade the artist made for an exhibition in Creux de l’Enfer’s cave in 2019, with Claude Dozorme cutlery factory, located near Thiers. The surface eroded by the acid reveals the layers, the folds, the structure hidden within the thickness of the material. The artist sees in this blade a « temporal line » symbolically condensing the twofold movement of contraction and stretching of time by which it visually transposes tellurian movements thoughout the exhibition: effluents, pushes, emanations…

M P

 
Credit photo : Vincent Blesbois

Larmes de la terre (prelude), 2021

Quelle est la nature de cette paroi mouvante dressée devant nous ? Nous suivons les glissements d’une matière filmée au rythme de 100 images secondes, c’est-à-dire un temps considérablement ralenti, de telle sorte qu’il permet de faire voir l’empreinte, le sillage laissé par les particules en déplacement. On pense aux coulées des puys d’Auvergne, aujourd’hui figées en chemins sombres, mais qui ruisselèrent autrefois comme des fleuves, mais aussi au processus d’érosion sous l’action du vent ou de l’eau, entre usure et transformation du paysage, à une avalanche de neige fondue ou à quelque paysage extraterrestre.
On imagine aussi le mouvement lent des sables, des argiles, des vases et des calcaires dont l’enfoncement dans le noyau terrestre alimente un magma qui les transforme en rocs durs, fournissant la matrice de ce qui deviendra, bien des millénaires ensuite, un relief montagneux à la surface du globe.
Marguerite Pilven

 

2 videos installation, variable dimensions, 10’

What is the nature of the moving wall erected before us? We follow the sliding of a material filmed at 100 images per second, that is to say a considerably slowed down speed, so that we can see the trace, the wake of the moving particles. One thinks of the lava flows of the Puys d’Auvergne, now frozen in dark paths but that once flowed like rivers, but also of the process of erosion under the action of wind or water, between erosion and transformation of landscapes, of an avalanche of melted snow or of some extraterrestrial landscape.
We can also imagine the slow movement of sand, clay, mud and limestone whose sinking into the earth’s core feeds a magma that transforms them into hard rocks, providing the matrix of what will become millennia later mountainous areas on the surface of the globe.
M P

 

Crédit photo : Vincent Blesbois

Supernova, 2021

Two Volvic lava stones, 70 x 50cm x 1,3 cm

 

Crédit photo : Vincent Blesbois

Nucleus variation, 2021

Damask steel arrows, variable dimensions, in collaboration with Claude Dozorme cutlery

Fulgur II, 2021

Progressive erosion of a damask blade, stainless steel, 115 x 6 cm

 
Crédit photo : Vincent Blesbois

Aerolithes, 2021

Montées sur des structures métalliques, des « bombes » – fragments de roc solide et de magma pâteux projetés pendant l’explosion, empreintes formées par la puissance de l’air, de l’eau et de la terre – sont exposées sous une forme dite « éclatée ». Cette technique de représentation d’un objet complexe en montre les éléments invisibles par séparation. Leur structure interne fait apparaître des couches du manteau terrestre, elle permet de reconstituer l’ensemble du mécanisme dont elles sont issues : fluidité du magma, vitesse de leur ascension dans la cheminée du volcan, orientation du champ magnétique local.
Marguerite Pilven

 

Suspended sculptures, variable dimensions volcanic bombs (Mont coupé), peritonites, stainless steel, brass with the precious help of Dozorme cutlery and LMV, Christophe Constantin

Hanging sculptures, variable dimensions, volcanic bombs (Mont coupé), peritonites, stainless steel, brass, with the precious help of Dozorme cutlery and LMV, Christophe Constantin.
Assembled on metal structures, « bombs » – fragments of solid rock and pasty magma projected during the explosion, shape born from the impact between air, water and earth – are exhibited in a form designated as « exploded ». This technique of representation of a complex object shows its invisible elements by separating them. Their internal structure reveals layers of the Earth’s mantle, and allows us to reconstruct the entire mechanism they stem from: the fluidity of the magma, the peed of their ascent in the volcano’s chimney, the orientation of the local magnetic field.
M P

 

Crédit photo : Vincent Blesbois

Serie de Lames, 2021

Autre incursion au cœur de la matière : trois impressions de lames minces, visions en coupe de ses échantillons de lave réalisées depuis la roche basaltique de pouzzolane où apparaissent les alvéoles et les cristaux qui la composent, nous rappelant par leur structure aussi bien l’unité cellulaire que la voie lactée.
Marguerite Pilven

 

3 color photographs mounted on aluminum, 20 x 25 cm, 3 wet collodions on glass, 20 x 25 cm, prints of thin sections made in three lava samples :(from left to right): raw pozzolan, pozzolan melted at 1150° in a coal forge, pozzolan melted at 1200° in a gas furnace crucible

Another incursion within matter: three prints of scientific slides, cross-sections coming from the basaltic rock where one can observe the cells and the crystals that compose it, whose structure remind us as well the cell units as the milky way.
M P
 
Crédit photo : Vincent Blesbois

Morphologie des cendres, 2021

L’installation Morphologie des cendres est réalisée à partir d’une succession d’images de cendres de lave d’Auvergne (de 20 à 30 microns) faites au microscope puis montées en film. Des centaines d’images  sont assemblées et donnent la sensation d’un morphing. Projeté sur la même matière que la cendre, sur une pierre de lave, le film joue de l’apparition et disparition sur celle-ci en fonction de la luminosité ambiante.  Morphologie des cendres évoque un paysage de pierre de rêve chinoise en perpétuelle transformation, une radiographie où l’on rentre dans la matière de la cendre.

 

Installation, video projection on Volvic lava stone, 7’20’’, recorded images of 20 to 30 microns ashes through a lens. Produced in collaboration with Krzysztof Zuchorski

 Crédit photo : Vincent Blesbois

Larmes de la terre (fugue), 2021

Un spectrogramme placé en miroir révèle la transcription visuelle de la puissance et de l’intensité lumineuse de ce même film, tel une radioscopie qui en traverse les images et les reconduit à leur matérialité . La succession des courbes accidentées évoque l’agitation des strates terrestres* et plus généralement les écritures scientifiques des phénomènes naturels : enregistrements, mesures, prélèvements, coupes.
Marguerite Pilven

* Le terme radioscopie est formé à partir du préfixe radio- (du latin radius : « rayon »), et du suffixe -scope (du grec ancien σκοπέω, skopéô : « observer »).

 

Video 6’25’’, variable dimensions, projection of the spectrogram of the eponymous video

A spectrogram displayed in mirror develops the visual transcription of the light power and intensity of the eponymous video, like a radioscopy penetrating images to decipher their materiality. The succession of angular curves evokes the agitation of terrestrial strat*  and more generally the scientific descriptions of natural phenomena : recordings, measurements, samples, sections.
M P

* The term radioscopy is formed from the prefix radio- (from the Latin radius: « ray »), and the suffix -scope (from the ancient Greek σκοπέω, skopéô: « observe »).

 
Crédit photo : Vincent Blesbois

Larmes de la terre, 2021

Au dessus du volcan

Jouant sur la verticalité du centre d’art réparti sur deux plateaux, en une analogie avec la cheminée du volcan, Charlotte Charbonnel nous fait monter au sommet, dans la matière subtile et l’incandescence des couleurs, la vibration de l’air et de la lumière, la traduction visuelle et sonore d’une éruption. La pointe de l’aiguille de lave basaltique au pied de laquelle nous nous trouvions a traversé le plafond. Une mosaïque d’images filmées nous fait survoler des nappes vaporeuses s’étirant dans le ciel et teintant l’atmosphère de lueurs d’incendie. Les séquences enchaînent vues aériennes et plans colorés, évocation plastique, hypnotique et rêvée, des différents moments du volcan en action tirant parfois vers l’abstraction. Elles s’accompagnent d’une bande sonore dont le grondement sourd évoque la violence du souffle volcanique. La sensation d’éblouissement, la physicalité de la lumière sont redoublées par la suspension de panneaux métalliques devant les fenêtres, faisant barrage à la lumière extérieure.

Marguerite Pilven

 

Video installation, 6’25’’, steel and wood screen, 5 x 2,80 m teel pannels reflecting light at the back, window sized Video produced with the help of Matthieu Dussol, and with the generous participation of Magma et Volcan laboratory ; sound creation, André Fèvre

Over the volcano
By analogy with a volcano chimney, Charlotte Charbonnel plays on the verticality of the art center distributed on two floors, making us climb to the top into the subtle matter and the incandescence of colors, the vibrations of air and light, the visual and sound transpositions of an eruption. The tip of downstair’s basaltic needle has crossed the ceiling. A mosaic of recorded images flies over vaporous wisps of smoke stretching in the sky, tinting atmosphere with glows of fire. The sequences link aerial views and colored shots, hypnotic and dreamy evocation of the different states of the volcano action, sometimes drawing towards abstraction. They are accompanied by a soundtrack whose muffled roar evokes the violence of volcanic blast. Sensation of dazzling and physicality of light are increased by metal panels suspended in front of the windows, obstructing the outside light.

MP

 

Crédit photo : Vincent Blesbois

Geoscopia, 2020

Charlotte Charbonnel a élu domicile à Maubuisson, une ancienne abbaye royale fondée en 1236 et située dans le Val-d’Oise, en région parisienne. Le temps d’une recherche de plusieurs années et d’une grande exposition in situ, l’artiste a fait de ce site médiéval son terrain de jeu. Elle a ouvert son atelier en mouvement aux forces énergétiques du lieu, et s’est fait l’autrice d’un grand récit aux ramifications magnétiques. L’investissement sculptural des espaces est fondé sur une partition précise, à l’écoute du moindre indice architectural, en un écosystème par lequel toutes les œuvres communiquent. De même, ce texte se veut une flânerie entrelacée, suivant le parcours proposé, en un décryptage librement inspiré par l’histoire de l’art et de l’architecture, de l’art cistercien à l’art minimal.
Léa Bismuth, extrait du catalogue « Geoscopia »

 

Minimalist and mystic flannel

Charlotte Charbonnel has taken up residence at Maubuisson, a former royal abbey founded in 1236 in the Val d’Oise, not far from Paris. In the course of several years’ work and a major site-specific exhibition, she has made this medieval setting, her playground. With her shifting studio open to the ambient energies, she has become the creator of a splendid, magnetically ramified narrative. Her sculptural handling of the spaces in question is founded on a precise partitioning, alert to the least architectural hint, into an ecosystem of intercommunication between all the works. In the same way, this text is intended as an intertwining meander along the exhibition trail, a process of decipherment freely inspired by the history of art and architecture from the Cistercian to the minimal.
Léa Bismuth, extract from the catalog « Geoscopia »

 

Crédit photo : Catherine Brossais

 

Visite de l’exposition Geoscopia, Abbaye de Maubuisson

 

 

Documentaire et interview Geoscopia, Abbaye de Maubuisson

 

Arkhe source, 2020

A l’emplacement exact depuis lequel une fontaine redistribuait l’eau d’une source captée sur la colline de Liesse et conduite par un aqueduc jusqu’à l’abbaye, Charlotte Charbonnel a érigé une colonne de béton dans laquelle sont disposés cinq capteurs mesurant les énergies sismiques, thermiques, électriques et électromagnétiques (rayonnements ultraviolets et infrarouges) du lieu, ainsi que sa radioactivité. Des vibrations souterraines aux flux aériens, elle canalise ces ondes naturelles pour les faire passer de l’extérieur à l’intérieur du bâtiment. La station vers laquelle elles convergent enregistre leurs fluctuations au fil des jours et des saisons de manière à ce qu’elles viennent, comme par un effet domino, activer en direct chacune des installations conçues par l’artiste. Leurs valeurs numériques sont ainsi collectées en vue d’être converties en signaux audio, puis ordonnées dans une partition qui donne le la au parcours de l’exposition et lui sert de fil conducteur. Les sondes comme outils scientifiques de mesure deviennent alors partie prenante d’un dispositif pensé comme un instrument sonore, fonctionnant en toute autonomie. Opérant un double geste de captation et de transduction de micro-événements naturels, l’installation assimile ces chants de la terre et du ciel, pour la plupart infra-sensibles, dans une composition musicale, écrite en temps réel et jouée spontanément.

Florian Gaité

 

Installation: Five sensors: seismic waves, ground temperature, radioactivity, infrared and ultraviolet variations, electric field

On the exact spot where a fountain once supplied water collected from a spring on the hill at Liesse and brought to the abbey by aqueduct, Charlotte Charbonnel has installed a concrete column containing five sensors for measuring the site’s seismic, thermal, electric and electromagnetic (ultraviolet and infrared) energy, together with its level of radioactivity. Ranging from subterranean vibrations to airborne flows, these natural waves are channelled from the outside to the inside of the building. A device at their point of convergence records their fluctuations day by day and season by season, so that by a kind of domino effect they activate in real time the installations designed by the artist. The numerical values are collected, converted into audio signals and arranged as a musical score that defines the ambience for the exhibition itinerary and serves as a guiding thread. Thus the sensors, as scientific measuring instruments, become a functioning part of a system designed as a completely autonomous sound source. Performing the dual task of collection and transduction of natural micro-events, the installation combines these songs of the Earth and the sky – mostly below our sensory threshold – into a real-time, spontaneously played musical composition.

Florian Gaité

 
Crédit photo : Catherine Brossais

Les chants de Malodunum, 2020

Sous forme de signaux électroniques, les ondes entament leur propagation en activant une installation sonore disposée autour du pilier central du parloir. Sa structure emprunte à la forme du corset, à celle d’une aile déployée ou à la géométrie d’une suite de Fibonacci. Elle est composée d’une quinzaine de bras de métal agencés en spirale, chacun pourvu à son extrémité d’un bol chantant motorisé, qui tourne sur lui-même, et d’une mailloche automate, qui le fait vibrer par frottement ou par percussion. Certains instruments sont des creusets en quartz, d’autres sont réalisés en métal, selon un alliage rare de sept matériaux qui convoque la symbolique tibétaine des astres, des jours de la semaine ou des principaux chakras ; d’autres sont moulés en terre cuite, dont l’artiste a découvert par hasard les qualités résonantes, associant sa signification ésotérique à une matérialité plus brute. La partition générée par les ondes captées à l’extérieur se donne à entendre avec force et acuité dans cette salle carrée à l’acoustique harmonieuse, marquée par l’homogénéité de la réverbération et l’amplitude de la résonance. Pour Charlotte Charbonnel, il s’agit de donner corps à des forces naturelles invisibles dont la présence est ici amplifiée dans ces nappes sonores, aussi aériennes que telluriques.
Florian Gaité

* Le nom latin de Maubuisson, Malodunum, est formé soit à partir de l’adjectif malus, a, um (mauvais, funeste, méchant), soit à partir du substantif malus, i (pommier), associé à dunum – forme dérivée du toponyme gaulois duno (enceinte fortifiée ou colline) – ou, plus vraisemblablement, à une forme corrompue de dumus, i (buisson).

 

Installation: metal structures, Tibetan singing bowls (quartz, metal, terracotta), mallets, electric motors

Transformed into electronic signals, the waves begin to take effect by activating a sound installation arranged around the parlor’s central pillar. The structure draws on the shape of a corset, a spread wing and the geometry of a Fibonacci sequence. It comprises fifteen spiral metal arms with, at the end of each, an electrically driven, revolving singing bowl and an automated mallet that makes the bowl vibrate by friction or percussion. Some of these instruments are quartz crucibles, others are made of a rare, seven-part alloy symbolizing, for the Tibetans, the heavenly bodies, the days of the week and the principal chakras; others still are of moulded terra- cotta, whose resonant qualities the artist discovered by chance in making the association between its esoteric significance and a cruder materiality. The musical score generated by the waves from outside makes itself heard powerfully and incisively in this square, acoustically harmonious room, marked by the evenness of its reverberation and the amplitude of its resonance. For Charlotte Charbonnel the goal is to materialize invisible natural forces whose presence here is magnified in layers of sound as ethereal as they are telluric.

Florian Gaité

* The Latin name for Maubuisson, Malodunum, derives either from the adjective malus (bad, evil, nasty) or the noun malus (apple tree), in association with dunum, a Latinised form of the Gaulish duno (a hill or fortified compound) or – more likely – a corruption of the Latin dumus (bush).

 

Crédit photo : Catherine Brossais

Remanences, 2020

Les ondes sonores émises par les bols chantants, converties en impulsions magnétiques, déterminent dans la salle suivante les mouvements balanciers d’un imposant pendule aimanté, suspendu à la voûte. Son passage impulse la chorégraphie oscillatoire d’un tapis d’épingles qui en adoptent la cadence, comme sous l’effet d’un métronome poly-directionnel, au tempo différencié. Intriguée par les très grandes quantités d’épingles commandées vers 1720, consignées dans les livres de comptes de l’abbaye, Charlotte Charbonnel les connecte à l’architecture en reprenant la forme des ogives des voûtes et des fenêtres pour confectionner le socle recouvert d’une toile de lin sur lequel elle les a piquées. La pointe élancée donne un élan à la pièce et favorise la circulation des corps, une dynamique redoublée par celle de l’aimant. Engagé dans un mouvement récursif d’attraction-répulsion, le mécanisme se prête autant à la contemplation, berçant la rétine, qu’il évoque le labeur répétitif des moniales et la douleur qu’il inflige aux corps. Entre flux et reflux, son rythme reproduit la structure cyclique de l’organisation des tâches domestiques et spirituelles des cisterciennes, auxquelles ces milliers d’épingles synchronisées donnent un nouveau visage. Nouant un nœud symbolique entre couture et torture, l’artiste mobilise également l’imaginaire de la radiesthésie ou celui de l’acupuncture dans la pensée orientale, comme si elle cherchait à offrir à la communauté la possibilité d’un soin posthume.

Florian Gaité

 

Installation: pendulum, magnet, linen fabric on a pain- ter’s stretcher and a wooden base, pins, electric motors

In the next room the sound waves emitted by the singing bowls and now converted into magnetic impulses, govern the swinging of an imposing magnetic pendulum hanging from the vault. Its passing choreographs the oscillation of a layer of pins that fall in with its cadence, as if regulated by a multidirectional, variable tempo metronome. Intrigued by the vast quantity of pins ordered around 1720 and listed in the abbey’s account books, Charlotte Charbonnel has set up a relationship with the architecture by using the shape of the windows and the ribs of the vaults to create the linen-covered base bristling with pins. The slender point of the pendulum gives the piece an impetus, in a dynamic increased by that of the magnet. Engaged in a recursive movement of attraction-repulsion, the mechanism lends itself as much to contemplation, to a cradling of the retina, as to the evocation of the nuns’ repetitive labour and the suffering it inflicted on their bodies. Ebbing and flowing, its rhythm reproduces the cyclical structure of the domestic and spiritual tasks to which these thousands of synchronised pins give a changed countenance. Tying a symbolic knot between sewing and torture, the artist also mobilises the mystique of dowsing, or acupuncture in oriental thought, as if trying to offer the community of nuns the possibility of posthumous healing. 

Florian Gaité

 

Crédit photo : Catherine Brossais

Pneumaphonie, 2020

Dans la double nef de la salle des religieuses, l’énergie magnétique devient une matière aérienne, un gaz fluide impalpable, invisible et incolore. À l’image du Yamabiko japonais, dieu des montagnes dont le souffle résonne dans le paysage, les énergies naturelles se rendent sensibles par les subtils échos qu’elles produisent, des sifflements dont l’origine est difficile à localiser. La trajectoire du souffle le conduit jusqu’à trois tubes en laiton torsadés et suspendus aux voûtes, des cannes-instruments qui prennent la forme de tornades. Sous son action, elles s’animent littéralement, renvoyant à la définition antique de l’âme (anima en latin, pneûma en grec) comme souffle, esprit qui prend vie en inspirant. L’air diffusé en basse fréquence entraîne les cannes dans une danse subtile, à l’énergie studieuse, puis frémit à leur embouchure comme une douce respiration. L’effet de soufflet dessine alors un tracé aléatoire à même un tapis de sable répandu au sol, un graphe pensé sur le modèle des mandalas éphémères de la tradition bouddhiste, une manière de rendre hommage à l’impermanence de la vie et de la matière. En contraste avec la pouzzolane, roche sombre issue de scories de basalte volcanique qui délimite l’étendue de sable clair, ce dessin en mouvement invite à un recueillement contemplatif, qu’une lumière tamisée rend d’autant plus intime et intériorisé.
Florian Gaité

 

Installation: compressor, brass “twisters”, sand, pozzolana, electric motors, Work created with the invaluable collaboration of Jérôme Wiss, musical instrument maker

In the double nave of the nuns’ hall, magnetic energy becomes something ethereal, an invisible, colourless gas, fluid and impalpable. Like Japan’s Yamabiko, the mountain god whose breath resounds through the lands- cape, natural energies are revealed by the subtle echoes they produce, by whistlings whose origin is hard to locate. The breath-trajectory leads to three torna- do-shaped brass tubes hanging from the vaults, literally “animated” in a reminder of the ancient terms for the soul – anima in Latin, pneuma in Greek – as breath, as a spirit that comes to life to breathing. Emitted at low frequency, the air draws the “twisters” into a subtle dance, then fluters at their mouths like gentle respiration. The bellows effect creates a random line on the sand carpeting the floor, a graph modelled on the ephemeral mandalas of the Buddhist tradition in a homage to the impermanence of life and matter. In contrast with the pozzolana, the dark volcanic basalt scoria delimiting the expanse of light-coloured sand, this shifting drawing invites contemplative meditation rendered more intimate and internal by the subdued lighting.
Florian Gaité

 

Crédit photo : Catherine Brossais

Elektra, 2020

La hauteur de l’antichambre se prête à l’élévation du regard. Sur le modèle des machines à reproduire des aurores boréales, Charlotte Charbonnel y a suspendu un tube de verre, empli de gaz et mis sous tension, qui semble canaliser l’électricité accumulée du lieu. Les flashs lumineux qui l’animent, à l’image d’une ampoule qui scintille, en dessinent les variations d’intensité, donnant un visage accidenté à la circulation des flux énergétiques. Le silence qui règne dans la salle est rompu par ces soubresauts lumineux, ces éclairs ténus à la présence aussi furtive qu’imprévisible. Théâtre de ces phénomènes intangibles et éthérés qui inquiètent autant qu’ils fascinent, la sculpture de verre renforce l’impression de fragilité qui s’en dégage. La présence spectrale des moniales trouve sans doute ici sa plus évidente incarnation. Les apparitions lumineuses finissent en effet par convoquer un imaginaire plus spirituel, comme si elles donnaient à voir les traces des énergies qui habitent encore le bâtiment, qu’on les assimile à l’esprit des disparues ou aux vestiges résiduels d’un événement passé.

Florian Gaité

 

Installation: Metal structure, glass tubing, discharge lamps, argon and xenon, generator

The height of the antechamber draws the gaze upwards. Adapting the model of those machines for reproducing the Northern Lights, Charlotte Charbonnel has suspended a glass tube, filled with gas and electrified, which seems to channel all the site’s accumulated electricity. Like a flickering light bulb, the luminous flashes it emanates signal variations in intensity, giving a constantly changing aspect to the energy flows.The silence that reigns in the room is broken by these luminous jolts, these tenuous flashes of light, furtive and unpredictable. The theatre of these intangible, ethereal phenomena, as disturbing as they are fascinating, the glass sculpture reinforces the impression of fragility that emerges. The ghostly presence of the nuns finds its most obvious embodiment here, but ultimately these luminous apparitions conjure up a more spiritual ethos, as if making visible the traces of energies still dwelling in the building, whether we identify them with the spirits of the dead or the vestiges of some past event.
Florian Gaité

 
Crédit photo : Catherine Brossais

Continuum, 2020

Charlotte Charbonnel conclut ce parcours en renouvelant son geste inaugural : inviter les énergies extérieures à l’intérieur de l’abbaye. Elle puise cette fois l’eau d’un canal souterrain pour la faire circuler à travers la pièce avant de l’y rejeter, une évacuation visible à travers un grand pavé de verre disposé au sol, sous les pieds des visiteur·euses. Un système de pompe associé à un réseau de tuyauterie organise cette remontée des eaux qui s’apparente à un geste d’excavation archéologique. Le courant produit un son continu qu’un dispositif de haut- parleurs et d’amplificateurs permet de moduler et de distribuer à travers l’espace. L’installation donne l’impression de fluctuations dans la densité et la vitesse de l’écoulement, comme s’il alternait rythmes lents et brusques accélérations, étirements et saccades. Dans cette pièce plongée dans l’obscurité totale, la vue cède définitivement le pas à l’ouïe. Une écoute attentive ouvre le corps tout entier à la sensation d’un encerclement diffus, dynamisé par les différences d’intensité des sonorités produites. La sensation d’enveloppement fait alors l’effet d’une plongée à sec dans le milieu ambiant, transformé en caisse de résonance d’une musique intestine, tout droit venue du ventre de la terre. En retournant à la source, l’installation ferme la boucle d’un projet placé entre expérimentation scientifique et rituel ésotérique, là où se révèle la matérialité incertaine de ces énergies invisibles.
Florian Gaité

 

Installation: pump, piping, electric motors and water, Speakers and amplifiers

Charlotte Charbonnel closes this itinerary with a renewal of her opening gesture: inviting exterior energies into the interior of the abbey. This time she uses an underground canal as a source of water that flows into the room and out again, in a process of evacuation visible through a large slab of glass set in the floor under visitors’ feet. The water is brought up by a pumping system and a network of pipes in what resembles an archaeological operation, with the continuous sound of flowing water modulated and dispersed by a system of speakers and amplifiers. The installation gives the impression of fluctuations in the density and speed of the flow, in a seeming alternation of slowdowns and abrupt accelerations. In this room plunged into total darkness, sight definitely comes in second to hearing: attentive listening opens up the entire body to a sensation of diffuse encirclement, energised by the differences in intensity of the sounds produced. This sense of envelopment creates the effect of being plunged without warning into surroundings transformed in to a resonance chamber for an inner music coming straight from the belly of the Earth. In this return to the source the installation closes the loop of a project part scientific experiment and part esoteric ritual, in which is exposed the uncertain materiality of these invisible energies.
Florian Gaité

 

Crédit photo : Catherine Brossais

Ambrolitotype I, 2019

Sculpture optique
2 plaques photographiques

 

Wet collodion on glass and aluminium glass, wood, 20,5 x 25,5 x 10 cm

Mobile optical sculpture
3 photographic plates

 

Crédit photo : Anthony Girardi pour Sinople

2022 Artocène

2022 Artocène – Glaciers et fluidité des temps, Chamonix – Mont Blanc

2022 Rebirth

2022 Rebirth – Encounter with Nature, commissariat/curated by Berenice Angremy produced by Doors 门艺, Choi Centre • Cloud House (Beijing)

2022 Dystopia

2022 Dystopia, galerie bacqueville, Lille

2022 épochè (maintenant)

2022 épochè (maintenant), commissariat/curated by Sally Bonn, Galerie des grands bains douche de la plaine, Marseille

Art Rotterdam 2022

2022 Art Rotterdam, The sky isn’t the limit, Rotterdam, Pays-Bas

2022 Drawing Now Art Fair

2022 Drawing Now Art Fair, focus, Le salon du dessin contemporain, Carreau du temple, Paris