Siphonophone, 2017

Installation sonore, sculptures en verre, pouzzolane, ventilateurs, leds, dimensions variables. Produit par Labanque.

« Une éponge réduite par une opération de pilonnage à une poussière de cellules, la poussière vivante formée par une multitude d’êtres isolés se perd dans l’éponge nouvelle qu’elle reconstitue. Un fragment de siphonophore est à lui seul un être autonome, toutefois le siphonophore entier, auquel le fragment participe, est lui-même peu différent d’un être possédant son unité » : le siphonophore est un organisme marin appartenant à la famille du plancton animal, sa spécificité est d’être constitué de milliers d’individus s’agrégeant en colonie, pour ne former qu’un seul corps, chaque élément ayant une fonction précise (chasse, reproduction, nourriture, défense). Charlotte Charbonnel, fidèle à sa pratique puisant dans les sciences, propose ici de créer une sculpture en verre sonore reprenant ce principe corallien, rhizomatique et réticulaire, étudié par Georges Bataille. Et cela, en étroite corrélation avec certaines de ses pièces précédentes, notamment sa Syphonie pour orgue (2013), pour laquelle elle avait créé une structure à partir de tubes, tels des siphons, dans lesquels le son circulait. L’interprétation qu’elle réalise ici de L’Expérience intérieure est extrêmement originale, tant elle capte, dans cette pensée philosophique et poétique à la recherche d’elle-même, les soubassements géologiques : qu’il s’agisse de l’étude du vent, des mouvements des êtres sur la Terre, de la minéralogie ou de la volcanologie. Ce qui intéresse l’artiste est la manière dont l’énergie se créé, pour ensuite se diffuser, mais comment aussi les infinies particules circulent dans un environnement beaucoup plus vaste qu’elles, et créent leur propre parcours, pour ne pas dire leur récit. Il s’agit donc d’une poétique du vivant, de la lumière, de l’atome ou du séisme, chacun de ces termes pouvant être perçu de manière aussi concrète que symbolique. Et c’est dans cette polysémie que réside toute la force de la démarche.

Dans le cadre de ses recherches, Charlotte Charbonnel s’inspire autant de la structure interne des tourbillons, que des colonnes sonores dans les grottes, ou encore des glassharmonica. Mais aussi, du côté minéral, de la silice ou de la lave, toutes ces matières naturelles à partir desquelles des formes peuvent émerger. Ainsi, on ne s’étonnera pas de découvrir, dans la pénombre primordiale, sa sculpture se déployer : un souffle de vent amène le visiteur à écouter une symphonie cristalline, et à voir un massif corallien en verre s’élevant vers la transparence, après avoir puisé sa force dans de délicats sillons dessinés par le vent, sur du sable, au sol. Nous sommes presque face à un mirage, image que l’artiste revendique pleinement, tout en évoquant les fulgurites, ces pierres de foudre, fragments de verre naturel, que l’on peut trouver dans le désert, en Libye, fruits de la rencontre entre un éclair d’orage et le sol sableux. Dès lors, les formes se dessinent sous les doigts du vent ou par l’impact violent des éléments s’entrechoquant. Une cristallisation, au sens solide autant qu’amoureux, se produit entre les matériaux. Dans le cadre de nos discussions, une phrase est restée comme un mantra : « ce qui compte n’est plus l’énoncé du vent, c’est le vent » : Bataille, défenseur d’une pensée non discursive — pensée du non-savoir puisant dans l’inconnu — nourrit l’expérience d’un contact direct avec les choses et les êtres, sans médiation. C’est bien ce qu’il nomme « la communication », que l’on peut aussi lire comme « contagions d’énergie, de mouvement, de chaleur […] comme un courant ou comme une sorte de ruissellement électrique ».

Léa Bismuth

 

Sound sculpture, glass, volcanic rock, ventilator, led, dimensions variable. Production by Labanque.

“A sponge reduced by a pounding movement to a dust of individual cells, the living dust formed by a multitude of isolated beings is lost in the new sponge which it reconstitutes. A fragment of siphonophore is on its own an autonomous being; however, the whole siphonophore, in which the fragment participates, is itself not very different from a being possessing its unity”: the siphonophore is a marine creature that belongs to the animal plankton family. It is unusual in being made up of thousands of individual creatures which join together as a colony to form a single body. Each fragment has a specific function (hunting, reproduction, food and defence). Charlotte Charbonnel, true to her scientific penchant, sets out here to create a glass sound sculpture that uses the coral, rhizomatic and reticular principle studied by Georges Bataille. The work is closely linked to some of her previous pieces, particularly Syphonie pour orgue (2013), when she created a structure out of tubes serving as syphons where sound circulates. The interpretation she produces here of Inner Experience is highly original, so effectively does she capture, within this philosophical and poetic thought in search of itself, geological substructures: whether in the study of wind, the movements of beings on the Earth, mineralogy or volcanology. What interests the artist is the way energy is created so it can then dissipate, but also how infinite particles circulate in an environment that is a far vaster than them and create their own path, not to say their own narrative. This, then, is about the poetics of the living world, of light, of the atom or the earthquake; each of these terms can be seen both in concrete and symbolic terms. This polysemy is the source of the power of her approach.
As part of her research, Charlotte Charbonnel draws inspiration from the internal structure of whirlpools as well as the sound columns of caves or glass harmonicas. And then, on the mineral level, there are silica, lava, all those natural materials from which forms can emerge. It is therefore no surprise to discover her sculpture unfurling in the primordial darkness: a breath of wind encourages visitors to listen to a crystalline symphony and to observe a glass coral reef reaching for transparency having drawn its strength from the delicate furrows drawn in the sand on the floor by the wind. We are almost in the presence of a mirage, an image the artist lays claim to wholeheartedly, while also evoking fulgurites, those stones born of lightning, fragments of natural glass that can be found in the desert, in Libya, fruit of the encounter between a thunderstorm and the sandy ground. Forms are thus outlined by the wind’s fingers or the violent impact of the elements as they collide. A crystallisation, in both a solid and a loving sense, is produced between the materials. As part of our discussions, a sentence has stayed with me like a mantra: “what counts is not the statement of wind, but the wind”: Bataille, defending non discursive thought — a not-knowing that draws on the unknown — valued the experience of direct contact with things and beings, without any mediation. This is what he named “communication”, which we could also interpret as “contagions of energy, of movement, of warmth […] like a current or like a sort of streaming of electricity.”

Léa Bismuth

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